Raccordeurs, les carences de la fibre
Pour raccorder leurs clients à la fibre optique, Orange, SFR et compagnie abusent de sous-traitance et ubérisent le métier de raccordeur. Le résultat de choix politiques « scandaleux », dénoncent nombre d’acteurs publics du numérique.
Née dans un village de Haute-Savoie d’un père boulanger qui décède lorsqu’elle a 4 ans et d’une mère femme au foyer, Rose Lamy travaille d’abord dans la musique et la communication. Elle crée en 2019 un compte Instagram intitulé « Préparez- vous pour la bagarre », suivi aujourd’hui par plus de 250 000 personnes, où elle recense et décrypte le traitement médiatique sexiste des femmes et des violences qu’elles subissent. Ascendant beauf est son quatrième livre.
texte Christelle Granja
illustration Irina Selaru
Cet « angle mort » dépasse la seule écologie. Jean-Pierre Luzi en fait même l’un des principaux traits de la modernité industrielle. Là est le point de départ de son essai Au rendez-vous des mortels. Le déni de la mort dans la culture moderne, de Descartes au transhumanisme (La Lenteur, 2019). « La société industrielle est structurée par un double déni de la mort : le fait que tous les êtres sont amenés à mourir, et que tout vivant est amené à tuer pour vivre », explique le maître de conférences en économie à l’université Bretagne Sud.
Cette disparition de la mort a stupéfié plusieurs penseurs. Dans ses Essais sur l’histoire de la mort en Occident (1975), l’historien Philippe Ariès retraçait une longue trajectoire où la mort, de familière et apprivoisée, serait devenue « sauvage » à partir du XVIIIᵉ siècle. Celle-ci s’est trouvée évincée de notre société : les cimetières et les abattoirs ont été éloignés du centre des villes, tout comme les institutions de la marge – Ehpad, asiles, hôpitaux. Le signe que la mort serait devenue un « objet de répulsion », écrivait le sociologue Norbert Elias dans La Solitude des mourants (1987). Jusqu’à remplacer le sexe comme tabou suprême de nos sociétés, affirmait même l’anthropologue Geoffrey Gorer dans un article célèbre, « La pornographie de la mort » (Encounter, 1955).
Cachez ces boucheries que je ne saurais voir
Le constat n’est pas neuf, donc, mais permet d’approfondir un point aveugle : la marginalité de la mort dans la pensée écologique hérite de cette éviction plus large, qui concerne toute la culture moderne. L’aversion de ce courant pour la chasse semble ainsi entretenir un lien avec cette répulsion tant avec la mort qu’avec la mise à mort. Tout comme les abattoirs, les fronts guerriers sont lointains et invisibles. « La puissance du monde occidental repose sur une division du travail et une domination militaire du monde, qui lui permet de donner la mort aux autres et à la nature pour pouvoir vivre », prolonge Jacques Luzi. « La société industrielle […], résolument nécrophobe dans ses principes, est devenue une société mortifère », résume dans Mort et Pouvoir (1978) Louis-Vincent Thomas, anthropologue méconnu sur lequel s’appuie Jacques Luzi.
« Vivre réclame tuer »
Cette mort capturée par la puissance industrielle a aussi inspiré le penseur de l’autonomie politique Cornelius Castoriadis, ou encore l’écrivain Elias Canetti, auteur du célèbre essai Masse et puissance (1960), mais aussi du posthume Livre contre la mort. Au total, cette galaxie plus ou moins technocritique converge vers un constat : « La société industrielle est mue par une volonté de puissance qui a été, dès l’origine, pensée comme un moyen de se délivrer de tous les fardeaux de la condition humaine, dont le premier est la mort », résume Jacques Luzi, qui voit dans le mantra du transhumanisme « Tuer la mort » un aboutissement de cette logique. Pour cet universitaire, les « technologies d’éloignement de la mort » de nos vies modernes produisent un effet très concret sur l’aversion pour toutes les pratiques liées à la mort et à la mise à mort. « Plutôt que se considérer comme extérieur à la nature, l’enjeu actuel est de se réapproprier le rapport à la mort en acceptant non seulement l’idée de mourir, mais celle que vivre réclame de tuer », plaide ce membre du comité de rédaction de la revue Écologie & Politique.
Or, la tentation d’échapper à cette réalité constitue le travers philosophique de certains mouvements animalistes ou végans à ses yeux : « S’habiller sans animaux réclame de déforester pour créer des usines de vêtements synthétiques, et donc de tuer des animaux. La question n’est donc pas de tuer ou de ne pas tuer, mais comment on va tuer », estime Jacques Luzi, pour qui « on ne peut pas échapper à la condition terrestre ».
L'impératif est de proposer de nouveaux imaginaires, de nouvelles formes institutionnelles, et d’ouvrir des espaces pour les expérimenter.
Les livres sont parfois signifiants par ce qu’ils ne contiennent pas. Ainsi du Dictionnaire critique de l’anthropocène (CNRS Éditions, 2020), somme de référence pour qui veut se renseigner sur les enjeux écologiques, mais ne comporte aucune notice sur la mort. Le pavé dispose tout de même d’une entrée « Finitude », laquelle évacue en quelques lignes la question mortelle, pour se focaliser sur « l’espace fini et limité de la surface terrestre ». Comme si, en écologie, on réfléchissait à toutes les fins – du capitalisme, de la Terre, de l’humanité – mais jamais à celle qui concerne chacun : la mort.Ce constat a aussi marqué l’essayiste et traducteur Pierre Madelin, auteur d’une des rares réflexions d’écologie abordant frontalement le sujet. La Terre, les corps, la mort. Essai sur la condition terrestre (Dehors, 2022) s’ouvrait sur ce paradoxe : la question de la mort est « rarement abordée dans la pensée écologiste », alors même que son lexique est saturé de termes renvoyant à l’extinction, à la disparition, aux dévastations.
Nous sommes insérés dans une seule et même communauté de vie où circulent la vie et la mort : en ingurgitant un animal, celui-ci « devient une partie de mon corps et me donne l’occasion de vivre un jour de plus. Et, tant que je vis, la conscience de sa mort et de son sang se perpétue dans le monde », souligne Deborah Bird Rose.
Dans la mise à mort, se joue une solidarité existentielle. « Cette intimité d’une intériorité interchangeable nourrit un genre particulier d’empathie fondé sur la reconnaissance tactile de notre parenté mammifère et sur notre condition commune de créatures nées pour mourir. Cette dépouille d’animal, ce pourrait être moi ; un jour, oui, j’en serai une à mon tour », écrit l’anthropologue. Cette articulation entre dette et empathie est au fondement de la proposition d’existentialisme écologique qu’elle formule, prolongeant le courant rattaché à Jean-Paul Sartre (1905-1980) pour le réenraciner dans la condition terrestre. Comme un moyen de rappeler que les idées s’incarnent dans des chairs, que ces chairs vivent en tuant, et que cette condition oblige à composer avec la mort.
« Lobbying monstrueux » des opérateurs
Mais le statu quo a décidément un goût amer. C’est un véritable « scandale », un « cadeau » aux géants que sont Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free, s’emporte le DGS du syndicat mixte. Un « cadeau » confirme Xavier de Plinval, directeur de l’asset mana- gement chez Axione, qui nuance : « Aujourd’hui ça paraît complètement fou, mais à l’époque, nous n’étions pas sûrs de réussir à faire venir des opéra- teurs tout-puissants sur nos réseaux ruraux. Le mode Stoc a donc été une concession. »
Une concession sur laquelle l’État n’est jamais revenu. Ce n’est pas faute d’avoir été alerté, depuis des années, par des élus et des acteurs locaux. Une proposition de loi visant à corri- ger les dérives du système a même été votée au Sénat en 2023, mais elle n’a toujours pas été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. La raison ? Le « lobbying monstrueux » des quatre masto- dontes des télécoms, dénonce le DGS. « Tous les ministres se font raconter la même histoire. Quant aux membres des cabinets ministériels, ils sont eux-mêmes souvent passés chez un de ces opérateurs dans leur carrière. C’est un lobbying extrême- ment difficile à combattre », observe la même source, qui estime que le modèle actuel détruit une infrastructure en partie publique, contre l’intérêt général, et pour le seul profit des opérateurs.
Cette intimité d’une intériorité interchangeable nourrit un genre particulier d’empathie fondé sur la reconnaissance tactile de notre parenté mammifère et sur notre condition commune de créatures nées pour mourir. Cette dépouille d’animal, ce pourrait être moi ; un jour, oui, j’en serai une à mon tour.
— Deborah Bird Rose
Cette mort capturée par la puissance industrielle a aussi inspiré le penseur de l’autonomie politique Cornelius Castoriadis, ou encore l’écrivain Elias Canetti, auteur du célèbre essai Masse et puissance (1960), mais aussi du posthume Livre contre la mort. Au total, cette galaxie plus ou moins technocritique converge vers un constat : « La société industrielle est mue par une volonté de puissance qui a été, dès l’origine, pensée comme un moyen de se délivrer de tous les fardeaux de la condition humaine, dont le premier est la mort », résume Jacques Luzi, qui voit dans le mantra du transhumanisme « Tuer la mort » un aboutissement de cette logique. Pour cet universitaire, les « technologies d’éloignement de la mort » de nos vies modernes produisent un effet très concret sur l’aversion pour toutes les pratiques liées à la mort et à la mise à mort. « Plutôt que se considérer comme extérieur à la nature, l’enjeu actuel est de se réapproprier le rapport à la mort en acceptant non seulement l’idée de mourir, mais celle que vivre réclame de tuer », plaide ce membre du comité de rédaction de la revue Écologie & Politique.
À propos du dualisme
Par dualisme, l’autrice n’entend pas nier la distinction des deux, mais exprimer la domination de l’un sur l’autre. Dans la mise à mort, se joue une solidarité existentielle.
Cette articulation entre dette et empathie est au fondement de la proposition d’existentialisme écologique qu’elle formule, prolongeant le courant rattaché à Jean-Paul Sartre (1905-1980) pour le réenraciner dans la condition terrestre.
Or, la tentation d’échapper à cette réalité constitue le travers philosophique de certains mouvements animalistes ou végans à ses yeux : « S’habiller sans animaux réclame de déforester pour créer des usines de vêtements synthétiques, et donc de tuer des animaux. La question n’est donc pas de tuer ou de ne pas tuer, mais comment on va tuer », estime Jacques Luzi, pour qui « on ne peut pas échapper à la condition terrestre ».
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